samedi 7 janvier 2012

MARITAIN - MAURRAS : Oublier les querelles du passé ?


Ne conviendrait-il pas de réexaminer à nouveaux frais le « lâchage » par Maritain, de Maurras en pleine condamnation de l’Action française, à Noël 1926 et partant les rapports entre les deux hommes ? Tel est le sens de la démarche d’Yves Floucat, spécialiste internationalement reconnu de Saint Thomas et de Jacques Maritain dans un article, il convient de le préciser, d’une objectivité d’autant plus remarquable que les passions ne sont pas mortes avec leurs protagonistes ou leurs témoins. 




C’est justement pour dénoncer le travestissement de l’itinéraire intellectuel de Maritain qu’Yves Floucat a tenu à remettre les choses au point, en critiquant la présentation, dans les Cahiers Jacques Maritain, par Florian Michel, d’un « jeune Maritain » révolutionnaire, en vue de minimiser, au nom d’on ne sait quelle correctness démocrate-chrétienne, son passage par l’Action française et tout ce qui a pu, à un moment donné, rapprocher Maritain de Maurras, voire, tout ce que le premier doit au second. « Il est [...] certain, écrit Yves Floucat, qu’après sa conversion, [Maritain] développera [...] des arguments antidémocratiques philosophiquement précis, et c’est bien ce Maritain qui nous intéresse, car il est déjà l’auteur d’ouvrages majeurs, jamais reniés, et qui marquent à jamais profondément son œuvre ultérieure en même temps que le thomisme du xxe siècle. » Du reste, « c’est sous l’influence de leur parrain Léon Bloy, catholique intransigeant s’il en fut — antidémocrate et antirépublicain selon le témoignage même de Raïssa — que les Maritain sont venus au catholicisme » et « Maritain s’était également très vite lié d’amitié avec le troisième abbé de Solesmes, dom Paul Delatte, lequel était [...] un admirateur passionné de Maurras ».
L’intérêt de l’article d’Yves Floucat, qu’on ne saurait résumer en quelques mots, est bien de dépasser les oppositions aveuglantes - trop aveuglantes, car elles sont encore douloureuses -, pour aller au fondamental. « Il ne s’agit certes pas de faire de Maurras un thomiste, et de Maritain l’ “idéologue de l’Action française”. Mais tout lecteur attentif d’ Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des catholiques (1926) comme de Théonas (1921), d’Antimoderne (1922) ou des Trois Réformateurs : Luther, Descartes et Rousseau (1925), ne peut pas ne pas y discerner des positions substantiellement communes avec celles de Maurras et qui n’ont rien d’une “collusion contre nature” », Yves Floucat n’hésitant pas à affirmer que Maritain, en dépit des apparences, ne réussit jamais à se déprendre tout à fait de l’influence maurrassienne.
Ecartelé entre le désespoir et l’obéissance au Pape, comme le prouve une lettre du 24 décembre 1926 à Henri Massis, Maritain développa par la suite une philosophie de la cité qui ne sut jamais se stabiliser et où il tenta de recouvrer, en vain,  la cohérence de la pensée contre-révolutionnaire. « De l’antidémocratisme dressé contre le mythe rousseauiste, Maritain était passé à une forme de démocratisme qui, sans doute, frôlait dangereusement le précipice d’une possible interprétation sécularisatrice, mais sa rigueur spéculative l’en préservait. Avec les Principes d’une politique humaniste et L’Homme et l’État, le politique et son autonomie — parce que, selon la célèbre distinction d’ Humanisme intégral, on y agit alors « en chrétien » et non « en tant que chrétien » (« Maritain est ici plus près de Maurras que de Pie XI » note Poulat) — reprennent pleinement leurs droits ».
D’heureux rappels de l’abbé Victor-Alain Berto, disciple et ami intime du père Henri Le Floch, lequel, proche de l’Action française sans lui appartenir, dut démissionner, à la demande de Pie XI, de son poste de supérieur du séminaire pontifical de Rome, confirment également le contresens, que nous avons déjà noté ici
, de François Huguenin dans sa nouvelle histoire de l’Action française, qui avance gratuitement que « le catholicisme d’un certain nombre de maurrassiens était en grande partie formel ». Au contraire, selon l’abbé Berto, « les neuf dixièmes des adhérents catholiques de l’Action française n’étaient pas seulement de doctrine irréprochable, ils étaient des hommes “religieux”, souvent parmi les meilleurs chrétiens de leur paroisse, parmi les plus fervents, parmi les plus zélés ». Et c’est précisément leur zèle politique et religieux qu’à la fois craignait et voulait récupérer Pie XI. On connaît le gâchis qui s’ensuivit...
Ne serait-il pas temps, dès lors, d’oublier les querelles du passé pour essayer de discerner ce qui peut être sauvé d’une commune aventure intellectuelle interrompue par les aléas de l’histoire ? « Il est légitime (audacieux, hasardeux ou utopique diront peut-être certains) de se demander si le moment n’est pas venu, pour les disciples du “Paysan de la Garonne” comme pour ceux de l’auteur de l’ Enquête sur la monarchie, de renoncer à tous les apriorismes réciproques et de revisiter avec discernement et un juste esprit critique l’œuvre de leur maître. [...] Face à la dérive subjectiviste et relativiste programmée des démocraties selon un horizon idéologique « droit-de-l’hommiste », ils pourraient trouver, dans le seul souci de la justice sociale et du bien commun, quelques points d’entente essentiels. 
Ils s’accorderaient sur un antilibéralisme et un antidémocratisme qui, tout en revalorisant les principes d’autorité, de légitimité, de souveraineté, de représentation de la nation dans ses diverses composantes, et d’incarnation du pouvoir, les conjugueraient harmonieusement aux libertés concrètes, et attribueraient ainsi — comme un Pierre Boutang, authentique disciple fidèle et inventif de Maurras, avait su le faire — sa véritable place au consentement populaire ».
Un beau programme en perspective : le dialogue avec Yves Floucat ne fait que commencer.

Yves Floucat, "Maritain adolescent, l'itinéraire politique d'un philosophe thomiste" dans Liberté politique, n°55, décembre 2011, p. 163-190. (83 rue Saint-Dominique - BP 50 455- 75366 Paris Cedex 08)

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